Secrets de l’album américain
1998 aura consacré Lara Fabian : aux Victoires de la musique, dans les tops de vente, sur les scènes
de l’Olympia, du Palais des Sports, du Stade de France et au musée Grevin.
En pleine préparation de son album américain et d’un nouveau Palais des Sports, la productrice de
Patrick Fiori fait le point.
A partir du 27 novembre, vous vous produisez au Palais des Sports, votre troisième concert sur Paris
cette année. De qui est venue la demande ?
C’est parti d’une demande de mon public et de l’envie de mes producteurs de spectacle, " mon duo de choc ",
Camus & Camus et Thierry Suc, de reproduire le show. Il est certain que les Victoires de la musique ont contribué
à amplifier mon succès. Mi-septembre, les billets des trois premières soirées se sont
arrachés en une semaine, sans affichage. Ce qui nous a amené à rajouter une date au Palais
des Sports et je reviendrai également le 18 décembre au Zenith pour clore ma tournée française.
Il faut voir cela comme un merveilleux cadeau du public et non comme une volonté marketing d’un artiste
ou d’un producteur.
Pourquoi travailler avec deux producteurs de spectacle ?
Pour mélanger le risque et la raison. Les deux se complètent parfaitement : le côté
un peu fou et artistique de Thierry, avec qui je travaille depuis un an, allié au cartésianisme et
au pragmatisme de Camus.
Ces concerts vont-ils être l’occasion d’un live ?
Je ne sais pas si c’est le désir actuel de ma maison de disques. Pour ma part, je ne pense pas qu’on puisse
mener de front plusieurs projets dont les buts diffèrent. Pour l’instant, je m’occupe d’un album américain
qui devrait sortir en février 1999.
Parlons-en. Diane Warren avait été pressentie comme songwriter. Avec quels autres auteurs et compositeurs
avez-vous travaillé pour cet album ?
Diane (C. Dion, W. Houston) sera présente ainsi que Pat Leonard (Madonna), Walter Afanassief (M. Carey,
M. Bolton) et Rick Allison, mon partenaire depuis mes débuts. Moi-même, j’ai écrit l’album
à 80%, toujours en co-composition avec Diane, Rick...
Comment avez-vous contacté ces compositeurs de renommée internationale ? Etes-vous passée
par leur éditeur ?
Non, nous les avons appelés en direct avec ma maison de disques Sony. Ils ont écouté ce que
je faisais et je me suis pointée à Los Angeles, New York ou Nashville. Nous nous sommes isolés
pendant trois ou quatre jours, autour d’un clavier à pondre une mélodie et à imaginer un texte.
Puis nous avons fait des démos avant de nous retrouver quelques semaines plus tard en studio à produire
des pistes et ma voix.
De quoi sera constitué l’album ?
Essentiellement de ballades à l’américaine car le marché le requiert. Nous avons souhaité
marier mes origines latines et l’efficacité d’une production à l’américaine.
Comment avez-vous été perçue par ces compositeurs américains ?
Quand j’écris en anglais, j’ai tendance à poétiser contrairement aux Américains qui
écrivent plus sur la forme du dialogue, d’une manière directe en employant des mots-clefs comme le
vent, la pluie. J’écris comme on lirait une lettre à quelqu’un, en intervertissant parfois les syntaxes.
Au début, ils ne comprenaient pas mes textes. C’est devenu limpide en chantant, avec l’intention que j’y
mettais.
C’était la première fois que vous écriviez en anglais ?
Je parle couramment l’italien, l’espagnol, l’anglais et le français et j’ai l’habitude de passer d’une langue
à une autre, dans mes lettres, mon journal.
Les sentiments exprimés changent-ils selon la langue ?
Non, la profondeur et l’intensité d’un sentiment restent intacts quelle que soit la langue qu’on utilise.
Dieu merci.
La version européenne de cet album devrait proposer un titre en italien. Qu’en est-il ?
Ca devrait effectivement être le cas, mais aucun choix n’a été arrêté pour le
moment.
Avez-vous gardé un souvenir marquant de ces moments d’écriture ?
Oui, un jour, je composais avec Pat Leonard et je trouvais bizarre une boucle qu’il utilisait. Répondant
à ma remarque, il me dit : " Je ne fais jamais rien de ce qui se fait généralement, pour
tout te dire, je n’écoute pas la radio, je fais selon mes envies et habituellement ça marche ".
Devant mon air interdit, il m’a demandé s’il m’avait choqué. " C’est dommage, tu passes souvent
à la radio, tu devrais écouter, il y a de superbes trucs ", lui rétorquais-je.
Quel sera le titre de cet album ?
Un premier album international n’a jamais de titre, il se nommera donc Lara Fabian
Pourquoi avoir choisi de le sortir ici chez Epic (Columbia pour les Etats-Unis) alors qu’on vous connaissait
en France artiste Polydor ?
Quand j’ai fait du shopping pour cet album international, j’ai trouvé chaussure à mon pied chez Sony.
Chez Polygram, je crois qu’on ne comprenait pas mes intentions musicales pour cet album. Je signe avant tout avec
des gens. Donc, mes projets internationaux sortent chez Sony et mes albums francophones chez Polygram. Cette manière
de faire me laisse une plus grande liberté de choix : en l’an 2000, mon nouvel album français paraîtra
tandis que mon album américain sera déjà sorti l’année précédente.
Bruno Gérentes qui vous avait signée chez Polydor dirige aujourd’hui BMG. Avez-vous entretenu
les mêmes relations avec son successeur ?
Oui, Jean-Philippe Allard et chouette. Bruno avait lancé Pure et quand on a vendu 1,7 millions d’albums,
il est difficile de maintenir la barre d’un tel succès. C’est la dure tâche qui incombe à M.
Allard.
Le mois de septembre fut chargé pour vous. Comment avez-vous vécu le Stade de France aux côtés
de Johnny ?
Comme un cadeau du ciel, un moment d’étoile. Ca fait partie de ces rêves que, gamine, on n’imaginait
pas un jour pouvoir concrétiser. Quel moment face à ce colosse vivant, devant 80'000 personnes !
C’est lui qui, après vous avoir vue en concert, vous avait choisie ?
Oui, il n’y a pas eu de pistonnage de la part de Camus (ndlr : tous les deux sont pris en main par Camus &
Camus pour les concerts).
Adolescente, j’écoutais beaucoup de musique britannique, Duran Duran, Spandau Ballet, Tears for Fears, Pink
Floyd, et mon père m’avait fait découvrir Johnny, une sorte d’Elvis européen. J’affectionnais
particulièrement J’ai oublié de vivre, les Portes du pénitencier et ses chansons rock. Mon
père m’a légué sa passion pour Johnny Hallyday.
C’est vous qui avez retenu Requiem pour un fou ?
Oui. J’aime la violence qui se dégage de cette chanson. Ca part d’un endroit que l’on contrôle mal,
c’est simple, direct, sans mièvrerie, ça déménage. Quand je l’ai proposée à
Johnny, il m’a demandé : " Tu crois que ça va aller ? " Avant d’ajouter : " De toute
façon, y’a que toi qui peux chanter ça ". Il a coutume de m’appeler " la panthère
".
On vous a vue reprendre à la télévision Syracuse avec Salvador. Vous aviez déjà
chanté Je suis malade de Lama et récemment un hommage à Brel. Comptez-vous un jour enregistrer
un album de reprises ?
Syracuse est une de mes chansons préférées. C’est vrai, je pense faire un jour un album de
reprises avec un concept original que je ne dévoilerai pas, de peur de me le faire piquer ! Il y aura quinze
ou vingt chansons mélangeant les cultures, illustrées par des photos qui retraceront le cheminement
qui m’a amenée à les choisir. On trouvera Brel, Lama, Aznavour, Sardou, berger, Balavoine, Goldman,
Ferré, Ferrat, Brassens, Duteil, Alice Dona, Sanson, mais aussi Gershwin, Christopher Cross, Gary Moore,
Ruben Ford...
Vos albums Carpe Diem et Pure sont sortis en coffret. Pourquoi avoir rajouté Si tu m’aimes sur Pure que
l’on trouvait déjà sur Carpe Diem ?
Ma maison de disques souhaitait rééditer cette chanson. Ils la trouvaient forte et tendre. Au Québec,
elle m’avait permis de vendre 300'000 albums. Nous l’avons rajoutée à Pure pour la faire découvrir
à ceux qui ne connaissaient pas Carpe Diem.
Avez-vous fait de la promo au Québec pour la nouvelle version de cette chanson en 1995 ?
Non, pas avec celle-là. Dernièrement, j’y ai fait de la promo pour annoncer le gala de l’Adisq où
je suis nommée le 1er novembre.
Votre premier album Lara Fabian paru en 1991 n’est disponible en France qu’en import. Comptez-vous le ressortir
ici ?
Je ne pense pas, pas pour le moment. Dans le coffret Carpe Diem/Pure, j’ai ajouté Je m’arrêterai pas
de t’aimer. Cependant je ne pourrais le ressortir que par bribes, car je l’avais enregistré à 19
ans et aujourd’hui je m’en sens moins proche. Entre-temps, j’ai acquis une certaine maturité.
Vous fêtez cette année vos douze ans de carrière....
Dix ans, car je ne considère pas le festival de Wallonie en 1986 comme faisant partie de ma carrière.
J’ai commencé professionnellement à 18 ans.
En 1987, vous avez sorti l’Aziza est en pleurs. Pourquoi aviez-vous rendu cet hommage à Balavoine sous
le nom de Lara ?
Je n’avais pas encore trouvé de nom. Je voulais m’appeler Lara puis je me suis aperçu qu’il fallait
exister sous un nom de famille, faire vivre mes origines italiennes. Fabiano vient du côté de ma mère.
Mon oncle que j’aimais énormément est décédé trop tôt et je voulais reprendre
son nom pour le saluer. Je lui ai dédicacé chacun de mes albums. A propos de Balavoine, c’est un
modèle dans ma carrière. Un mec vrai, qui vivait sans compromis, ayant toujours fait ces choix par
rapport à son intégrité et non en regard des gens, un personnage duquel une génération
entière s’est inspirée. Il avait réussi à changer les choses de façon radicale
et courte. Aussi, était-il profondément généreux et la générosité
est un sentiment qu’on peut posséder sans acheter. Peu de gens comprennent ça dans ce métier.
Quel était ce label Monopole ?
Rien. J’ai dû faire une télé belge avec ce 45 tours pressé à vingt-six exemplaires
pour ma famille. C’était un disque fait à la suite d’un concours. Point. Croire (ndlr : titre concourant
à l’Eurovision en 1988), produit par Carrère et distribué par Trema, est le premier 45t qui
a marché.
L’émission Les Enfants de la télé a retransmis récemment une de vos premières
télés où vous chantiez Croire habillée en jean’s délavés et tee-shirt
à fleurs. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce look ?
J’étais nostalgique. Je me revoyais il y a dix ans et dans autant d’années, je me revisionnerai etc.
C’est le constat du temps qui passe, de la vie qui évolue et qui fait nous maîtriser.
Quand êtes-vous devenue plus " sophistiquée " ?
Je n’emploierais pas ce terme-là. Je me sens plutôt sobre : redingote, chemise, pantalon noirs, bottes
de cuir, cheveux lisse, maquillage très naturel. Je suis très italienne dans mon look, très
" Gucci armanisante ", une couleur, une ligne, une image. Dans ma vie quotidienne, je porte jean’s et
cachemire. Je n’aime pas les choses qui mettent en évidence autre chose que ce que la personne est. L’intérêt
chez moi n’est pas dans les vêtements.
Vous vous y intéressez, tout de même ?
Bien sûr, j’ai toujours aimé les fringues. Ils ont le pouvoir de nous faire sentir belle ou laide
et c’est la première chose que les gens voient en allumant la télé. Pour moi, Audrey Hepburn
incarnait le comble de l’élégance.
Sur le 45t Je sais paru en 1989, vous remerciez " l’homme de Rome ". Qui est-il ?
C’est Romano Musumara qui, très gentiment à la demande de Jacques Cardonna, était venu chanter
" Ti amo ".
Le 1er novembre, au vingtième gala de l’Adisq, vous êtes nommée dans la catégorie Interprète
féminine de l’année. Comment appréhendez-vous de recevoir un trophée des mains de Céline
Dion ?
Je suis nommée dans trois catégorie : Interprète féminine, Chanson de l’année
et Artiste s’étant le plus illustré à l’étranger. Depuis que je suis canadienne, c’est
la première nomination de la sorte que je reçois ; c’est incroyable.
Dans Fréquenstar, Céline Dion a répondu à propos de sa comparaison avec vous : "
Tant pis pour moi ". Comment interprète-t-on ce type de réflexion ?
Tout d’abord, la question de Laurent Boyer était bizarrement posée, car je ne sais pas s’il est agréable
de se voir comparer à quelqu’un. Elle a sûrement été prise au dépourvu et a répondu
sincèrement. Si on m’avait posé la même question, je pense que j’aurais repris le journaliste.
Peut-être n’a-t-elle pas eu la présence d’esprit ? En revanche, mes fans on été plus
virulents sentant que Céline Dion m’agressait. Je ne le vis pas comme ça et j’ai toujours la même
admiration pour elle.
Vous avez un fan club ?
Quelqu’un gère cela au sein de ma maison de disques. On reçoit des milliers de lettre par jour provenant
de partout, autant d’Afrique que du Maroc et j’y réponds moi-même.
Avez-vous un souvenir d’une lettre ?
Oui, celle de la petite Amandine qui, depuis qu’elle a perdu son père, s’endort avec ma musique, comme si
ma voix faisait le lien entre ce qui lui manque et ce qui lui reste. J’entretiens une correspondance avec elle,
la fait venir à mes spectacles, la voit. Aussi, je fais toujours quelque chose pour les gens malades.
Quand on connaît la résonance que peuvent avoir les mots, écrit-on ensuite de la même
manière ?
C’est vrai, ça rend responsable. Plus on touche de gens, plus la résonance est forte et il ne faut
jamais perdre de vue la raison qui nous a motivé un jour à prendre la plume. Le succès croissant,
il faut, sans pour autant faire de concessions, être plus prudent pour dire les choses, utiliser la bonne
forme avec intelligence. Mais je ne pense pas pour cela avoir la prétention de changer les choses.
A nouveau, vous avez fait la une de Voici lors de votre rupture avec Walter Afanassief. Vous nous aviez confié
à propos de la presse people : " Je n’ai rien à cacher ". Votre sentiment est-il toujours
le même ?
J’avais déjà annoncé cette rupture. On a repris mes propos en cherchant à voir plus
loin. Mais plus on essaie de cacher les choses, plus cette presse essaie de savoir. Mais on est des êtres
humains, c’est-à-dire imparfaitement constitués. On a des histoires d’amour qui commencent et qui
se terminent. Celle-ci s’est terminée car elle ne correspondait pas à ma conception de vie de femme.
Walter est extraordinaire, il contribue à ce que mon album américain soit une réussite. Aujourd’hui,
je fais d’autres rencontres comme toute femme de 29 ans. Voici ressortira d’ailleurs sûrement quelque chose
un jour. Et ce n’est pas agréable de se sentir scruté. A tout moment, on peut me prendre en photo.
Mais je n’ai rien à cacher : je ne suis pas mariée, pas divorcée, je n’ai pas douze mecs.
Rick Allison, votre ancien compagnon et producteur, vient d’écrire et produire le nouvel album de Patrick
Fiori (Notre-Dame de Paris), lui aussi ancien candidat à l’Eurovision. Que pensez-vous de ce chanteur ?
De loin, c’est un des plus grands que j’ai été amenée à découvrir. Nous avons
plus d’un points commun, une personnalité intègre et, en nous, une dualité homme-femme. Ce
mélange rend Patrick Fiori unique ; il plaît autant aux hommes qu’aux femmes avec dans l’écriture
l’âme d’un poète gascon, comme Cabrel. Là-dessus, nous nous ressemblons, on ne créé
pas de sentiment neutre : on nous aime ou on nous déteste. Il est jeune, il a une voix, de la sincérité,
un feu intérieur, et c’est pour cela qu’il va devenir incontournable.
Voyez-vous des similitudes entre sa chanson Himalaya et la vôtre Humana ?
Ca tient sûrement au fait que ce sont les mêmes personnes qui les ont écrites. Mais je vois
encore plus de similitudes entre Pas sans toi (Carpe Diem) et Vivre en toi (Prends-moi).
Vous aviez promis une chanson à Sandy Valentino. Qu’est-ce qui vous a inspiré chez elle ?
J’ai été séduite par cette gamine qui a du coeur, de la sincérité et une personnalité
vocale. Je lui ai écrit un titre " Encore " dans l’ambiance de Sade. C’est rafraîchissant
et ça correspond à sa personnalité latine.
Vous sentez-vous des velléités pour devenir, à l’instar de Goldman, auteur-compositeur
?
Je voudrais le faire mais de manière aussi intelligente que lui, c’est-à-dire de façon parcimonieuse,
offrir la chanson appropriée à la personnalité de l’interprète au lieu de lui proposer
directement douze chansons pour un album.
Le 3 septembre, vous êtes rentrée au musée Grevin. Quel effet cela vous a-t-il fait ?
C’est sympa, mais, déjà, je ne peux pas me voir en deux dimensions à la télé,
alors...en trois dimensions en statue de cire... Je reconnais la mise à l’honneur, mais, relativisons :
OK il y a Depardieu, Clinton, etc., mais aussi un chef cuisinier en train de servir Catherine Deneuve.
Ludovic Perrin et Jean-Marc d’Angio
© Magazine Platine novembre 1998