Son nouvel amour

Toulouse, jeudi 19 novembre 1998, 16 heures 30.

Nous avons rendez-vous avec Lara Fabian à son hôtel. François Blais, son directeur de tournée, nous y accueille. La chanteuse termine une entrevue avec un journaliste du Parisien. Encore quelques minutes, le temps d’avaler trois ou quatre bouchées dans sa chambre, et elle sera entièrement à nous, pimpante et disponible.

Depuis juin 1997, les spectacles, les promos et les entrevues ne lui laissent que quelques instants à elle. Pourtant, elle est en pleine forme. Quel est son secret ? C’est vrai qu’elle est amoureuse de Patrick Fiori - elle nous le confirmera -, mais l’amour ne peut seul nourrir un être. Lara n’a pas perdu son équilibre en devenant une superstar au Québec et, maintenant en France. Partout - nous avons été à même de le constater - dans la rue, devant son hôtel, ses fans l’attendent et se bousculent en espérant au moins l’apercevoir. Alors, quel est le secret de sa sérénité ? Lara s’est ouverte à nous en toute simplicité. Voici l’entrevue exclusive qu’elle nous a accordée.

Lara, ce que tu vis en ce moment, est-ce le bonheur ?

(Rires) Ah, ça en fait partie, absolument ! Mais quand on est dedans, c’est un tourbillon. J’avale mes repas dans ma chambre d’hôtel en 10 minutes, parce que j’ai des interviews. C’est tous les jours comme ça. Je suis contente - c’est ce que j’ai voulu -, mais ce n’est pas le genre de vie que je pourrais mener pendant 25 ans. D’un autre côté, c’est celui que j’ai attendu pendant 10 ans.

Depuis quand est-ce la course, le tourbillon ?

Tout a démarré si rapidement ! Le single français est sorti en avril 1997, et l’album, en juin de la même année. Deux mois plus tard, la demande du public était tellement forte que j’ai dû venir passer cinq semaines ici, à travailler tous les jours - parce qu’ici samedi et dimanche, on ne fait pas relâche. L’enregistrement des émissions de télé se fait très souvent le week-end. Et une émission, ça demande 10, voire 14 heures de préparation. Le tourbillon n’a pas arrêté depuis.

Tu n’as donc eu aucun répit depuis juin 1997 ?

Je n’ai pas encore pu prendre de vacances, non. On fait de courtes pauses, en général de quatre jours. La plus longue a été d’une semaine, et elle comptait deux jours de voyage. Mais je vais prendre de vraies vacances avant la sortie de mon album américain. Je dois vraiment me reposer.

A quel moment t’es-tu rendu compte de l’ampleur de ton succès en France ?

Très récemment, au mois d’avril dernier, lorsque je suis montée pour la première fois sur la scène du Palais des Sports : 7'000 spectateurs, trois jours d’ovations. Je me retrouvais sur l’une des plus grandes scènes du monde. C’est un des moments inoubliables de ma vie. J’ai aussi vécu une très grande émotion lorsque Johnny (Hallyday) m’a invitée à chanter le "Requiem pour un fou" avec lui, au Stade de France, devant 80'000 personnes. Il y avait 430 artistes sur scène. Cela a été un moment inattendu, inespéré dans ma carrière.

T’es-tu ennuyée du Québec, de ton chez toi depuis le début fulgurant de ta carrière en France ?

Oui, beaucoup. Crois-le, crois-le pas, j’ai le mal du pays ! On dira que j’exagère, que je suis téteuse, mais je m’en fous, c’est vrai. De prendre mon char et d’aller acheter des oranges au marché Atwater, ça me manque. Même si j’ai vendu trois millions et demi de disques ici et que j’y aurai passé sept mois au cours de la dernière année, je n’ai pas de maison ailleurs qu’à Montréal. C’est là que je veux vivre. Ici, je ne peux pas sortir librement, aller comme ça au marché, à cause des fans. Mais je commence à le faire, car j’en ai trop besoin.

N’en as-tu pas marre, certains jours, d’être poursuivie par tous ces admirateurs ?

Tout est une question d’attitude. Plus on se cache, plus on joue la carte de la Mercedes avec deux gars qui nous ouvrent les portes, plus on attire l’attention. Il faut porter une tenue anonyme - un manteau, une écharpe - et, quand quelqu’un s’approche, le saluer puis continuer sa route. Alors ça ne vas pas plus loin, et c’est correct. J’ai toujours fait ça. Dimanche dernier, j’ai décidé d’aller au cinéma, sans chauffeur ni garde du corps. J’ai enfilé un long manteau gris et une écharpe : personne ne m’a reconnue. Mais c’est vrai qu’ici les gens sont plus excités qu’au Québec. A Paris, il m’est impossible de me balader sans garde du corps : les gens se jettent sur moi. Après une émission de télé, il a fallu 12 hommes pour me soulever et m’arracher à l’emprise d’une trentaine de fans. Je ne blague pas ! Ils ont tiré mes cheveux, ma robe... C’est parfois l’hystérie.

Une rumeur voulant que tu sois devenue chiante a circulé à un moment donné au Québec. Est-elle venue à tes oreilles ?

Certains artistes, qui m’aiment bien, m’en ont fait part. Laurence Jalbert m’a dit un jour 'Je sais que tu n’es pas comme ça. Tu es simplement exigeante.' C’est vrai que je le suis. Je crois que c’est l’essentiel si on veut connaître le succès. Mais je ne suis ni chiante ni méchante. Et si quelqu’un croit que je ne suis pas sincère, je ne peux rien y faire et je ne passerai pas ma vie à tenter de le convaincre de ma bonne foi. Je ne m’en fais plus pour ce genre de chose.

Que fais-tu pour garder la forme ?

Deux heures d’entraînement chaque jour : une heure d’exercices cardio-vasculaires, 30 minutes de musculation, etc. J’ai un entraîneur et un nutritionniste. Je me fais masser et je prends des remèdes homéopathiques. C’est extraordinaire. Juste avant de reprendre les spectacles, j’ai joué dans un clip et j’ai eu une rhinolaryngite - c’est lorsqu’on change de rythme que les maux se manifestent. Or, en faisant des vocalises tout à l’heure, j’ai constaté que tout allait bien maintenant.

As-tu une alimentation particulière ?

Oui, je consomme beaucoup de pâtes et de légumes verts. Le matin, je prends des protéines, un œuf ou du formage. Et, pendant que je fais des exercices cardio-vasculaires, je me reminéralise avec des sels homéopathiques, du raison et de l’eau. Ce n’est pas un régime contraignant, et je peux manger au restaurant : il y a toujours des pâtes avec des légumes au menu.

En fait, je peux manger de tout, même du dessert. Ce qu’il faut éviter, c’est de mélanger les hydrates de carbone, comme les pâtes, avec les protéines. J’ai maigri, la forme de mon corps a un peu changé mais, ma musculature s’étant développée, je pèse un kilo et demi de plus qu’avant.

Depuis quand exactement as-tu adopté ce régime de vie ?

Depuis le début de la tournée, soit depuis un mois.

Dans quel clip jouais-tu, hier et avant-hier, dans les rues de Toulouse ?

La Différence, une chanson sur l’homosexualité. Certains pensent que je suis homosexuelle, parce que j’ai écrit cette chanson. Mais ce n’est pas le cas. C’est simplement que j’ai un ami à qui je tiens beaucoup, Nicolas, qui est gai. Un soir, il m’a dit : 'C’est insupportable, cette différence !' Je lui ai répondu : 'Quelle différence ? Ne cherches-tu pas la même chose que moi ? Etre aimé d’un être ? Peu importe le sexe. Qu’est-ce qu’on s’en fout ! Le problème, c’est l’intolérance des gens' : Celle de ceux qui ne comprennent pas que nous avons tous la même quête, le même but, la même raison de vivre. Voilà ce qui m’a poussé à écrire cette chanson.

N’avez-vous pas été obligés de modifier un peu les lieux de tournage à cause du froid ?

Il faisait effectivement très froid. Au lieu de tourner tout le temps dans la rue, on a aussi pris des images dans un grand escalier de pierre.

Etre aimée est donc ta quête à toi aussi, et tu sembles avoir trouvé cet être...

C’est très récent. Maintenant, que ça dure ou non, il faudra y travailler, renouveler chaque jour cet amour. Il n’y a rien d’impossible. Patrick vient me rejoindre quand il le peut. Il est extraordinaire, je l’aime vraiment beaucoup.

Comment l’as-tu rencontré ?

On se connaît depuis longtemps. Rick Allison a coécrit et produit son album, qui a été réalisé à Montréal. Mais je ne l’avais jamais vu là-bas. On s’était toujours vus à l’extérieur, en faisant des émissions de télé, par exemple. On était amis depuis un an et demi. Et puis, un jour, ça nous a frappés, c’est devenu évident. C’est difficile de mettre des mots sur des sentiments. Quelque chose s’est passé entre nous; c’était sincère, et puis voilà. J’étais maître de ma vie, je me sentais prête. Mais je garde les deux pieds sur terre, parce que j’ai un album américain à finir et à lancer. Tu sais, l’état amoureux où on devient bête, stupide même, où on croit ne plus pouvoir vivre sans l’autre, il ne faut pas que ça m’arrive.

Vos carrières sont sur leur lancée et vous serez très souvent séparés. Comment crois-tu que ta relation avec Patrick évoluera ?

Et comment est-ce que je pensais pouvoir continuer avec Ricky ? Je ne me suis jamais posé de questions, et ça a fonctionné. En plus, on travaillait constamment ensemble. C’était donc encore plus difficile. Je te répondrais que l’absence préserve parfois la passion, et que je vais prendre les choses un jour à la fois. Plus que jamais, Carpe Diem.

As-tu appris à te protéger au fil des ans et des relations amoureuses ?

Je le crois. Je me suis quelquefois pris un 10 tonnes en pleine face, et ça m’a refroidie pour beaucoup de choses. Mais je reste une éternelle optimiste. J’ai le soleil devant. Je crois que tout est possible. Qu’il s’agisse d’un album, d’un spectacle ou d’une relation avec un homme, j’ai la même attitude. Si, au départ, on pense qu’il y a une impossibilité fondamentale, ce n’est même pas la peine de continuer.

De toute façon, il n’y a rien de rationnel dans l’amour.

Non, rien. Et tu sais ce qui est fou ? C’est qu’il n’y a rien de rationnel dans notre métier non plus. C’est un coup de poker chaque fois. C’est la même chose pour un couple.

Tu sembles très forte, très solide. L’es-tu autant en amour ?

C’est vrai que je suis très solide. Parfois, je suis vulnérable aussi, comme tout le monde d’ailleurs ! J’ai mes moments d’insécurité et de faiblesse. Mais je crois que, dans un couple, dès que l’un flanche un peu, l’autre doit être fort, capable de l’épauler et de l’aider à se remettre debout.

Alors Patrick est fait de la même pâte que toi.

Ah oui ! Lui, il a le soleil devant, et le lendemain, c’est la déprime. L’équilibre se fait entre nous parce qu’on vient un peu du même monde. Sa famille, comme la mienne, est très, très unie. Lui vient d’une île, la Corse ; moi, je suis de descendance sicilienne. Entre l’âge de 20 à 28 ans, c’est la femme en moi qui s’est développée au Québec, mais mes racines sont très semblables à celles de Patrick.

Qu’est-ce qui t’a plus le plus chez Patrick lors de vos premières rencontres ? Et lui, chez toi ?

Son intégrité. Patrick est un morceau de bois franc. Il est droit comme un pylône. Comme tous les membres de mon équipe d’ailleurs. Pour ce qui est du reste, il faudrait le demander directement à Patrick.

C’est ce que Lara a fait elle-même, à la fin de notre entretien, tout juste avant de signer des autographes dans le hall de l’hôtel et de s’engouffrer dans sa limousine, en direction de la salle de spectacle. Elle a téléphoné à Patrick Fiori. 'Qu’est-ce que tu aimes le plus chez moi ? ' lui a-t-elle demandé. Et Patrick de répondre tout simplement : ' Toi '.

Qu’est-ce qui te rend vulnérable ?

La fatigue, et le fait de ne pas manger. J’ai aussi besoin d’être protégée par mon équipe parce que je suis trop généreuse. J’ai un trou dans la main.

Tout t’émeut ?

Oui, et c’est parfois difficile à vivre. Souvent je me demande pourquoi je ne suis pas plus forte, davantage blindée. Mais si on se blinde contre l’émotion, on se ferme à ce que l’être humain a de plus vrai. Je ne crois pas qu’on puisse en même temps être sensible et se barricader. Si tout nous touches, c’est que nous aussi, on va toucher les gens.

Tu as toujours été à la fois sensible et optimiste.

Parce que j’ai un bon capital génétique : ce sont mon papa et ma maman qui m’ont transmis ça. Ils m’ont notamment appris à me protéger. Je souhaite un jour agir avec mes enfants comme ils l’ont fait avec moi. Aujourd’hui, grâce à eux, je suis vraiment quelqu’un de très sain. Je suis très disciplinée, je fais ce que j’ai à faire. Aussi, je suis bien dans ma peau - ça n’a pas toujours été le cas : je ne me trouvais pas belle, pas bonne, je me trouvais grosse, etc. Mais j’ai arrêté de penser qu’il fallait absolument que je mesure 1,70 m et que je pèse 42 kg. Je suis comme je suis.

Depuis quand es-tu bien dans ta peau ?

Depuis environ un an. En fait, depuis que l’album Pure a été lancé, j’ai arrêté de vouloir être une autre. J’ai cessé de me trucider avec tout ça.

Tu es fille unique; tu aurais pu devenir exécrable. Comment as-tu évité ce piège ?

Mes parents ne l’auraient jamais permis. Mais j’ai rarement abusé de la situation parce que, de nature, je suis trop tournée vers les autres. Contrairement à ce que certaines gens peuvent penser, je suis loin d’être narcissique. C’est même tout le contraire !

Dans quel domaine tes parents travaillaient-ils ?

Papa était technicien en chauffage, et ma mère travaillait à la maison. Je suis née d’un capital et d’un code d’amour que peu de gens ont eus.

Ta tournée se termine le 18 décembre, au Zénith de Paris. Qu’est-ce qui t’attend ensuite ?

Je passerai les fêtes à Montréal avec papa et maman. Ils sont d’ailleurs ici avec moi - ils habitent Bruxelles. Après, je serai aux Etats-Unis pour la production de mon album américain. J’ai coécrit une partie des chansons du disque.

Sens-tu le besoin de tout diriger, en tout temps et dans tout ?

Non, j’ai besoin de m’impliquer dans tout. Si on ne prend pas une part de responsabilité dans ce qu’on a à donner, je crois qu’il est difficile - du moins ce l’est pour moi - de le rendre avec sincérité.

Les gens ne connaissent pas Lara Fabian, la femme d’affaire.

Non, et c’est parfait comme ça. Tout cela, c’est de la cuisine, et les gens n’ont pas forcément besoin de le savoir.

Mais c’est sympathique de le découvrir.

Tous mes hits, hormis "Je suis malade", sont des chansons que j’ai coécrites avec Rick. Pendant des années, on a pourtant tenté de nous convaincre d’aller chercher des grands noms.

Est-ce vrai qu’à cinq ans tu savais déjà ce que tu voulais faire ?

Oui, j’ai tout simplement découvert que j’avais un instrument agréable, je suis arrivée à le maîtriser et j’ai compris qu’avec lui je suscitais de l’intérêt. On réunissait la famille le dimanche, et je chantais. C’est comme ça que tout a commencé.

Tu avais déjà conquis ton plus important public.

Exactement : les gens qui m’ont d’abord aimée et qui m’accompagnent toujours. On nous appelle ' Lara et sa tribu '.

Et Lara d’être reprise dans le tourbillon géant que suscite sa popularité. Les autographes pour les fans, les tests pour la sono, puis le spectacle devant les Toulousains, qui connaissent eux aussi ses chansons par cœur. Il n’est donc pas surprenant qu’elle ait remporté le Félix de l’artiste s’étant le plus illustré hors Québec lors du dernier Gala de L’ADISQ. D’autant plus que cette journée-là, elle était en répétition à Toulon, à quelques jours seulement du début de sa tournée de 27 spectacles, qui devait la mener notamment à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Marseille et à Genève. Voilà pourquoi elle était dans l’impossibilité d’être de ce côté-ci de l’Atlantique pour recevoir son prix.

François Hamel
© Magazine 7 Jours, Canada - 5 décembre 1998