Lara Fabian, une étoile est née...

En trois singles, « Tout », « Je t’aime », « Humana », deux albums, « Pure », « Carpe Diem », une Victoire de la Musique, deux Olympia et deux Palais des Sports, Lara Fabian s’est imposée dans le peloton de tête des chanteuse francophones. A l’heure où elle prépare un opus en anglais pour partir à l’assaut de la planète, nous l’avons rencontrée. Pour la première fois, elle dit « Tout ».

Après l’Olympia des 27 et 28 janvier, c’est au tour du Palais des Sports des 25 et 26 avril 1998 d’être à nouveau complets... Tu fais donc de la promo pour rien ? !

Non, car la promotion ce n’est jamais pour rien. Si tu fais une interview juste par ce que tu as quelque chose à vendre, ça manque à la fois d’intégrité et de profondeur.

Tu te doutais qu’après l’Olympia, ce Palais des Sports serait à nouveau complet...

Au rythme où l’Olympia s’était remplie quand on l’avait bookée et en écoutant M. Boris me dire qu’on aurait pu encore le remplir quatre fois plus sans problème... j’ai réalisé que ces 10'000 personnes refusées à l’Olympia pourraient remplir le Palais des Sports. En plus, certaines choses qui se sont passées ces derniers mois : la Victoire, certaines télés, certaines interviews... m’ont rendue confiante. Mais malgré ça, j’ai toujours des doutes, je suis la reine de l’insécurité.

L’Olympia rempli, tu t’es dit : « Je vais faire le Palais des Sports ». Ce dernier aujourd’hui plein, tu te dis que tu vas faire le Zenith ?

Peut-être... Il y a une idée pour l’automne avec Jean-Claude Camus et Thierry Suc, mes producteurs pour la scène, mon duo de choc...

Pas de grande tournée ?

Au moment de l’Olympia, on a fait quelques villes : Strasbourg, Lyon... Là, après Paris, on fait Caen et Bruxelles... C’est tout pour l’instant, car je suis en train de préparer mon album américain..

Beaucoup de bruits courent sur ce dernier. Notamment que tu vas enregistrer du Diane Warren (C. Dion, M. Bolton, W. Houston, M. Carey...) ?

Diane m’a écrit deux chansons, mais on va voir...

On a l’impression qu’elle est le passage obligé pour une chanteuse à voix. Ca devient systématique...

C’est ce qui m’énerve aussi... On raconte également que le producteur artistique de l’album est David Foster, connu pour avoir travaillé avec les mêmes artistes que Diane, mais ce n’est pas lui ! Les producteurs de l’album sont d’abord Rick Allison, ensuite Walter Afanassief, qui est aussi le producteur de Carey, Bolton... Quant aux chansons, on est en train d’en coter trente. Sur les trente, une quinzaine sont de moi. Après, on choisira.

Cet album est prévu pour quand ?

Pour l’automne. Il sortira en même temps dans le monde entier chez Sony.

Mais tu es une artiste Polydor ?

Non, je me produis seule. Il est vrai qu’en France mes albums en français sont distribués par Polydor. L’album américain devait l’être aussi. Seulement, après avoir signé avec Polydor pour la sortie en France, les propositions de Polygram International n’ont pas été aussi intéressantes que celles de Sony. Je vais être la seule artiste à être dans deux multinationales différentes, une par continent !

Tu as vraiment beaucoup de choses sur le feu. Il paraît que tu as signé avec Rick Allison la chanson du film Daylight avec Sylvester Stallone. Une chanson interprétée par Donna Summer...

J’avais écrit la musique de ce film avec Bruce et c’est Donna Summer qui l’a enregistrée. OK je suis chanteuse, mais je suis principalement auteur-compositeur. Je base la sécurité de ce métier plus sur l’écriture que sur l’interprétation.

Tu fais tout pour conquérir l’Amérique ?

Je n’ai pas plus envie de conquérir l’Amérique que l’Europe... Tu sais, le marché international est divisé en 65/35, 65% des ventes se font donc en Europe. Ce n’est donc pas vrai que c’est le marché américain qui est le plus important du monde, c’est une illusion. Cependant, c’est une zone qui ouvre énormément de portes, qui apporte la crédibilité et le pouvoir.

Ton duo avec Richard Marx « Surrender to me » en 1997 était une façon de tâter le terrain ?

D’une part... Et puis parce que c’est une ami qui me l’a demandé pour son album. Il a du talent, il est gentil, et ça été un chouette moment de studio. Pourquoi s’en priver ? Comme je suis ma propre productrice, que je n’ai signé avec personne, je peux suivre mes coups de cœur.

Tu es connue au Québec, mais aussi au Canada anglophone puisque tu as reçu en 1996 deux Junos Awards à Toronto (Best New Solo Artist et Best Selling Francophone Album). Plus récemment, le Billboard t’a reconnue comme Meilleur espoir international. Comment tu l’expliques ?

Ca vient de ce que j’ai fait avec Walt Disney pour « Le Bossu de Notre-Dame ». Comme ils ont aimé ma version française, celle-ci s’est retrouvée sur le soundtrack en anglais. Et tous les Canadiens ont dit : « Who’s this girl who sings Esmeralda ? ». De là, j’ai fait des télés, les Junos... et ils passent mes chansons en français.

Tu t’intéresses aux autres Francophones à l’export. Par exemple, Kaas, qui aujourd’hui pense qu’elle doit enregistrer en anglais pour vraiment conquérir le marché américain...

Chanter en anglais pour conquérir les Américains c’est préférable, mais il y aura sur mon album certainement une chanson en italien, parce que je suis ritale et j’ai envie de le dire. Si on arrive à faire un amalgame judicieux entre ses origines et ce que le marché américain requiert, on devrait avoir des chances...

Pour revenir au marché français, on parle d’un duo avec Pagny, Pavarotti...

Il y a eu une histoire de duo avec Pagny qui ne s’est pas fait. Quant au second, ce n’est pas Pavarotti mais Bocelli, et ça ne s’est pas fait non plus. J’ai une équipe très pointilleuse et certains projets ne rencontrent pas l’aval de mon équipe... Moi je me plie à leurs exigences. Pour l’instant, mon énergie je la mets ailleurs. Avec l’album américain, je vais être trois mois en Europe, trois mois en Amérique, trois mois en Asie...

Ca ne te fais pas peur comme somme de boulot ?

Non, je suis une grande bosseuse.

Tu parles de ton équipe et ton côté business-woman transparaît : tu es la propre productrice de tes trois albums en français, ton éditrice depuis longtemps...

Oui, je produis mes albums et j’ai mes éditions, Fabson, Fabian-Allison.

Quand tu dis que ton équipe est pointilleuse, c’est plutôt toi, non ?

Non, j’ai une véritable équipe avec des managers, des directeurs techniques et artistiques. Rick Allison est mon manager international, Liz s’occupe de la France, Lorn Seford des Etats-Unis. En dessous, tu as François Blais et Christine Tetraux qui sont les deux personnes à tenir le bureau, à coordonner toute la machine.... en tout avec les musiciens, les coiffeurs, maquilleurs, on est une quarantaine de personnes, chacun un maillon de la chaîne. Moi, je suis la vitrine, l’étendard, parce que c’est moi qui chante, mais les décisions sont collectives, car chacun est spécialiste dans son domaine. Ce n’est pas vrai que c’est l’artiste qui décide.

Tu as quand même des coups de foudre ? Quand tu choisis Karl Lagerfeld pour t’habiller c’est quand même toi qui choisis ?

Oui, bien sur ! Personne ne va pas non plus me dire quelle chanson je dois mettre ou pas sur mon album. De plus, Rick Allison, avant d’être mon manager, est l’homme que j’aime le plus au monde, avec mon père. C’est ma famille, c’est ma chair, c’est mon sang. Nous sommes restés ensemble six ans et demi, sans rupture, de mes vingt ans à mes 26 ans et demi.

C’était avant Walter. Entre les deux, il y a eu une histoire avec quelqu’un du métier, dont je n’ai jamais parlé car elle n’a rien donné.

Parlons de Pure. Pourquoi y chanter des chansons de Daniel Seff (Ici, Alleluia) ? Tu savais qu’il avait signé tous les premiers tubes de Lenorman, également Mike Brant et aujourd’hui Axelle Red ?

Lenorman ? Mike Brant ? Je ne savais pas ! Du reste, ça ne m’étonne pas parce qu’il est vraiment humble. Seff a une façon d’écrire de mec, la force combinée à la fragilité, c’est ce que j’aime chez lui, notamment dans ses albums comme « Prévenez les anges... » Pour revenir à Axelle Red, ce n’est pas parce que j’aime les chanteuses à voix que je n’aime pas ce qu’elle fait. Au contraire. J’aime les chanteuses qui ont un autre truc à offrir, parce que forcément l’émotion passe par un autre chemin.

Après avoir chanté une chanson pour la lutte contre le sida au Québec en 1992, on retrouve la Différence dans Pure, une chanson sur l’homosexualité. Le problème te touche-t-il de si près ?

Une de mes meilleures amies est homosexuelles. Ca me concerne par amitié, ça me concerne par amour. L’homosexualité, comme l’intolérance... est un de mes thèmes favoris. Je n’écris pas comme on endoctrine, j’en ai rien à fiche ! J’ai pas écrit cette chanson pour dire « les hétéros on est des cons, les homos ont raison », pas du tout, j’ai écrit cette chanson comme on jette des couleurs sur une toile. En réaction à une histoire qu’un ami m’a racontée. Parce que l’intolérance, c’est crétin. Ces préjugés sans chercher à comprendre pourquoi, comment, c’est nul. Et puis que l’on soit homosexuel ou hétérosexuel, le sida est présent.

Tu te sens chanteuse engagée quand tu chantes ce genre de chansons ? C’est ponctuel ou tu vas continuer ?

Je ferai encore des chansons comme celle-là, j’en fait déjà. Pour le prochain album, je prépare une chanson qui m’a été inspirée par un livre sublime : Lilas dit ça qu’un p’tit Beur du nom de Schimo a écrit dans une cité sur un cahier Clairefontaine. Ce garçon écrit comme on dégaine une kalachnikoff armée. C’est hallucinant ! Je n’avais jamais rien lu d’aussi fort ! Tu sais nous on vit dans un monde privilégié. Ces mecs-là pour vivre, ils ramassent des cannettes vides et ils s’arrangent pour faire un peu de business avec des Albanais. C’est sa vie, ou plutôt LA vie de tous ces gens que raconte Schimo... Je te jure ça te transperce comme une épée. La chanson qu’il m’a inspirée porte son nom, Schimo. Je ferai des chansons comme celle-là, chaque fois qu’un truc me touchera, chaque fois qu’un truc m’interpellera.

Crois-tu que c’est ce genre de chanson qui te donne une dimension sociale ? Aujourd’hui, tu fais partie des chanteurs qui sont invités partout : tu as participé avec un inédit « La petite Fleur triste » à Emilie Jolie en 1997, avec Johnny Hallyday aux Enfoirés 98, tu es médiatisée dans les magazines people....

Je crois que j’ai un côté très accessible. Mon équipe me demande quelquefois de m’asseoir pour visionner des émissions que j’ai faites et je me surprends à sourire à la fin d’une chanson, à éclater de rire, à avoir une larme au coin de l’œil... comme je le fais chez moi avec mes potes.... Là, il y a un truc qui n’est pas fabriqué.

La dimension populaire vient de l’humain, pas du talent ni du travail. Le problème, c’est que ça ne provoque pas de sentiment neutre : soit il y a ceux qui t’adorent, soit ceux qui te détestent.

Ca ne te dérange pas d’avoir toute cette presse people qui s’intéresse à toi ?

Je n’ai rien à cacher ! La couverture, que j’ai faite sur Voici, c’est avec mon mec. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je suis tombée amoureuse de Walter Afanassief, qui est le producteur de Mariah Carey, il est tombé amoureux de moi... Les paparazzi vont peut-être me prendre dans un resto en train de lui mettre la main sur le visage... et alors ?. Quand j’ai vu Voici, j’ai même appelé Walter pour le lui annoncer : « Tu sais chéri, on fait le front de Voici. » Et quelle fut sa réaction ? « Can I have a copy ? » Il était super intrigué et flatté car c’était sa première couv’. « It’s the first time ! » criait-il dans le combiné (rires).
Cela dit, c’est un génie, un pianiste, un compositeur et un réalisateur exceptionnel, d’une efficacité rare car il mélange sa formation très Chopin, Albinoni, Rachmaninoff, ses origines russes, avec la musique américaine actuelle. Il est hautement raffiné. Rick Allison est aussi un génie, plus polyvalent, car il joue de la guitare comme une rockstar, du piano, il écrit des textes, il compose, il produit, réalise, tout en gérant ma carrière en parfait homme d’affaires et en étant l’esprit qu’il est, jamais à côté de ses pompes. Il est même encore plus qu’un génie pour moi...

Tu n’as obtenu que la Victoire de la Révélation 98 et pourtant beaucoup de gens pensent que tu es la chanteuse de l’année. Peut-être parce que tu as été très remarquée dans ton discours ce soir-là... qui a dû en énerver plus d’un...

Tu vois, en revanche, sur ce truc-là, je n’ai entendu aucun commentaire négatif. Même les plus durs à cuire m’ont dit que je paraissais sincère. Pourtant je l’étais !

Aujourd’hui sur le single Humana, on trouve en titre 2 Il existe un endroit, extrait de Carpe Diem. Qui a décidé de faire la promotion de cet album en 1995 ?

Quand on a vu comment Carpe Diem se vendait en France, en import, on s’est dit qu’il fallait en faire un pressage français. Je l’ai confié à Polydor. Si j’ai mis sur le simple Humana, cet extrait, Il existe un endroit - ma chanson Walt Disney comme je l’appelle -, c’est que cette chanson va faire connaître un petit bout de mon deuxième album, pas le plus significatif, les chansons les plus fortes étant Si tu m’aimes et Je suis malade de Serge Lama et Alice Dona.

Si tu ne les mets pas en titre 2, c’est que tu penses les mettre en titre 1, faire des singles en France pour Carpe Diem ?

Peut-être parce que sur un territoire comme le Canada, grâce à elles, j’ai vendu un quart de million de Carpe Diem ! C’est sûr que je suis artiste, que je suis auteur-compositeur, que je crée, mais je suis aussi une femme d’affaires !

Sur cet album Carpe Diem, il y a aussi deux chansons d’Eddy Marnay (Je vivrai, Puisque c’est l’amour), lequel a beaucoup travaillé avec Céline Dion, Mireille Mathieu... Tu ne te sentais pas capable de tout écrire ?

Eddy c’était plus un coup de cœur, un coup d’amitié : je l’appelle « Mon Prince » car c’est un monsieur âgé, qui a fait beaucoup de choses dans sa vie, mais qui a gardé une fraîcheur incroyable...Il était très enrichissant pour une gamine de 20 ans, de plus, j’aimais ses textes, alors je les ai enregistrés ! Je l’avais connu au Québec par le biais d’une amitié commune qui n’était pas dans ce métier...

En 1995, tu reçois deux Félix à l’Adisq et on te voit même à la première de Lama au Palais des Congrès à Paris...

Ca c’est parce que Lama a écouté ma version de Je suis malade sur Carpe Diem et a appelé ma maison d’édition en disant : « J’ai jamais entendu ça, il faut qu’elle vienne à Paris ». Et il me l’a faite chanter au Palais des Congrès le jour de la première en duo avec lui, le 28 janvier 1995. Il m’a remis mon disque de platine du Québec et ensuite m’a demandé de la rechanter seule alors que ce n’était pas prévu. Là, j’ai halluciné. J’ai déposé mon disque de platine dans un coin, je me suis mise face au public et j’ai chanté. A la fin, quatre mille personnes se sont levées. Quel souvenir pour ma première scène à Paris ! L’énergie du public français est incroyable ! Ce sont des latins, quand ils aiment un truc, ils se lèvent, ils crient... Ca n’a rien à voir avec les réactions des Québécois. La réaction du public au Palais des Congrès m’avait vraiment collée au mur.

En 1992, sort au Québec ton premier album Lara. On le trouve aujourd’hui en import dans l’Hexagone. Tu ne comptes pas le presser en France ?

Non, je ne crois pas, mais il y a une chanson sur cet album-là que je ressortirai un jour, en la retravaillant..

Tu ne veux pas le ressortir car il a connu un problème à cause de la chanson Je sais, qui était dans la première version, et qui a été supprimée ?

Ca n’a rien à voir. C’est vrai que Je sais appartenait à une autre maison de production, qui n’avait pas touché ses droits mécaniques, ce qui m’a obligé à ressortir l’album au Québec sans Je sais, mais ce n’est pas à cause de problèmes juridiques que je ne le ressors pas pour l’instant.

Quelle est la chanson que tu voudrais ressortir ? C’est un secret ?

Oui.

Ce n’est pas Dire, Les Murs, Simplement... ?

Non, aucune de celles-là. (Rires)

Pourquoi ne pas le publier en France ? Il t’a valu un trophée Félix à l’Adisq au Québec et pas mal de ventes ?

100'000

En 1992, à l’époque de ce premier album, tu enregistres avec de nombreux chanteurs québecois un disque pour la lutte contre le sida, Au nom de l’Amour... Tu n’en parles jamais. Tu es pudique dans tes actions caritatives ?

Je trouve que la vraie générosité, ça se fait, ça ne se dit pas. Si tu veux faire quelque chose de ce type, tu le fais et tu fermes ta gueule. J’ai horreur de la démagogie de certains... J’ai vraiment une énorme pudeur par rapport à ça. Aujourd’hui, c’est vrai que je me sers de mon nom pour aider l’Association Québecoise pour les enfants malades du cœur, mais personne ne sait si j’organise des matches pour les enfants, si je leur porte moi-même des jouets pour Noël.. Pour moi, c’est quasiment religieux, je n’ai pas à le dire.

Cette participation en 1992 au disque pour la lutte contre le sida aux côtés de tous les chanteurs québécois prouve une certaine intégration... Comment tu l’expliques ?

J’ai pas essayé de séduire. J’ai dit ce que j’aimais et ce que j’aimais pas. J’étais intègre et simple, ce sont les deux qualités les plus appréciées par les Québécois. En plus, j’habitais là-bas en permanence depuis 1990, j’y payais mes taxes, j’employais des Québecois... Sur les quarante personnes que je fais travailler aujourd’hui, deux seulement sont européens.

Tu racontes que tu es restée au Québec de 1990 à 1997, mais ce n’est pas tout à fait exact puisqu’en 1991, tu reviens en France pour enregistrer la chanson du film « La neige et le feu » (Vline Buggy, V. Cosma) de Claude Pinoteau...

Il sait tout ce mec ! Pourquoi Pinoteau ? Parce que Cosma a appelé. Il m’a dit avoir écouté mon premier album et m’avoir choisie. Je crois que la vraie raison est que la fille qui devait le faire, Karoline Kluger, que j’avais connue en 1988 à l’Eurovision et qui avait chanté la B.O. du précédent Pinoteau, ne pouvait plus le faire. Je crois que c’est la vraie raison car on m’a fait venir en France en vingt-quatre heures ! Si on m’avait vraiment choisie, il y aurait eu un minimum de délai. Je regrette car parmi toutes les chansons de film de Cosma, c’est la seule qui ne soit jamais sortie en 45 tours à cause de problème entre l’édition et la production.
Ca me pompe de savoir qu’une belle chanson comme ça - une des plus belles de Cosma - ne soit que sur une compil des plus belles chansons de Cosma ! (Ndlr : également sur l’album de la BOF).

Tu n’as donc pas gagné de royalties ?


Rien. Mais je m’en fous. Si je faisais ce métier pour l’argent, il y a longtemps que j’aurais abandonné.

On va attaquer les années tabou. Tu ne parles jamais de ta période en duo avec Frank Olivier, genre Stone et Charden. Avec lui, en 1990, tu as enregistré une autre version de Je sais, L’amour voyage (en août 1990).. et il y a une photo de toi au verso de son album, toute vêtue de cuir rouge et noir. Tu n’assumes pas ?

« L’amour voyage dans tes grands yeux... » (Elle chante). Je m’en souviens encore, n’empêche ! (Rires). Ce n’est pas que je n’assume pas, c’est que c’est une période de ma vie très douloureuse sur laquelle je n’ai pas envie de revenir. C’est quelqu’un qui m’a fait beaucoup de mal...

Je vais peser mes mots par ce je n’ai même pas envie de parler de lui... Il y a des gens bien et des gens pas bien : lui c’est pas quelqu’un de bien, c’est tout. C’est tout ce que j’ai à te dire.

Au Québec, tu as sorti ton titre de l’Eurovision Croire, en octobre 1990. Ta carrière avec Franck Olivier était finie ?

Oui, ça n’a duré que six mois.

Les souvenirs de l’Eurovision en 1988 à Dublin sont meilleurs ?

Oui. Je travaillais avec une petite équipe géniale : Michel Elmos, le producteur, avec sa femme Marie Myriam, Alain Garcia, l’auteur, Jacques Cardona, le compositeur (de Gold), Georges Augier de Moussac, l’arrangeur (de Cabrel)...

Pourtant Marie Myriam disait dans l’émission Viva Eurovision animée par Dave que tu lui as demandé de venir avec toi dans la loge pour qu’elle te tienne la main ?

C’est vrai, je tremblais comme une feuille. D’abord parce que j’étais très malade, j’avais une bronchite, je toussais comme une chameau, je vomissais... Marie a été adorable, elle est restée avec moi tout le temps...

Tu as enregistré ton succès de l’Eurovision « à l’ancienne ». En plusieurs langues : allemand (Glaub), anglais (Trust) mais pas en italien ?

Non, ce sont les hasards de la production.

Tu as raconté que Karoline Kluger, qui concourait pour la Norvège t’a agressée ?

Oui, c’est vrai. (Rires). Elle m’a lancé : « I’m gonna get you bith ! » dans un couloir après les répétitions, car tout le monde me donnait gagnante, surtout les Irlandais qui d’ailleurs m’ont donné la note maximale. Derrière moi, ce devait être l’Angleterre, puis Céline. C’est exactement l’inverse qui s’est produit. Egalement à ce concours, j’ai croisé un grand imprésario qui m’a dit que je ne marcherais jamais mais je ne dirai pas son nom.

Tu l’as revu depuis ?

Oui. Il m’a dit simplement : « Bonjour, je ne vous demande pas comment ça va ? » Je lui ai répondu : « Mais moi non plus ». Il avait été si violent que je ne pourrais pas oublier. Lui non plus. Il avait l’attitude du mec jaloux qui ne peut pas faire ce qu’il veut avec toi. Peut-être, il aurait voulu me signer... Quand le chat n’arrive pas aux raisins, il dit qu’il est trop vert.

Si tu as fait l’Eurovision pour le Luxembourg, c’est grâce à Jean Teregand des Editions RTL, Radio Music France, qui t’a beaucoup soutenue ?

Oui, car c’est lui qui m’avait découverte dans un piano-bar et menée à l’Eurovision. D’ailleurs c’est quand il a disparu (ndlr . dans un accident de voiture) que tout a commencé à aller mal pour moi. Après l’Eurovision, j’ai enregistré Je sais en français mais aussi en anglais (I know), qui n’a pas marché, et tout s’est arrêté.

J’ai dû reprendre mes études tout en vendant des cosmétiques dans une parfumerie en Belgique. Pendant ce temps-là, Rick (Allison) lavait des verres. On trouvait ça un peu dur. Et puis, il y a eu cette rencontre qui - il faut rendre à César ce qui est à César - m’a fait découvrir le Québec en 1989. Si aujourd’hui, je suis de nationalité canadienne, c’est grâce à cet individu. Je n’ai même pas envie de citer son nom.

Tu as étudié la musique ?

A huit ans, mon père m’a acheté un piano, il m’a inscrite dans toutes les académies, j’ai fait dix ans de chant classique, dix ans de piano : solfège, fugue, harmonie... claquettes, diction, chant, déclamation..., j’ai tout fait. Je ne m’amusais pas avec les copines, il n’y avait qu’une chose qui m’intéressait : la musique. Quand je sortais, c’était avec un walkman sur la tête. J’ai écrit ma première mélodie à huit ans alors que je n’avais mon piano que depuis une semaine. Elle était d’une tristesse... Je la joue encore, il n’y a pas de texte... A 14 ans, je chantais sur les scènes des boîtes à musique de Bruxelles.

Tes parents étaient musiciens ?

Mon père, Pierre Crockaert, était un passionné de musique qui avait travaillé avec Petula Clark. Encore une qui a eu de méchants hits ! Quand il a rencontré maman, qui s’appelait Fabiano, et qui était une fan inconditionnelle de Nana Mouskouri, la plus grande carrière féminine du monde..., il a arrêté la musique pour faire autre chose. Jusqu’à l’âge de cinq ans, on a vécu en Italie. Ensuite, jusqu’à mes 17 ans en Belgique. En 1987, je suis partie deux ans en Irlande suivre un homme de 32 ans qui avait des enfants. Je n’ai jamais plus aimé comme je l’ai aimé. Tant pis si je parais impudique mais c’est comme pour les chansons, si je ne raconte pas ce qui m’arrive, je ne peux pas inventer. Mes parents eux sont toujours en Belgique.

Tu as des anecdotes sur ton enfance de chanteuse ?

Mon père voulait que je chante, que je reprenne le flambeau, que je devienne une star. Il a tout fait pour ça. Le premier disque qu’il m’a acheté quand j’avais sept ans, c’est Je m’envole de Nicole Rieu. (Elle chante). Après, comme il aimait beaucoup la country, il m’a fait écouter John Denver, Olivia Newton-John... Je ne me souviens pas mais mes parents m’ont raconté que quant j’avais dix-huit mois, je chantais Mamy Blue aussi juste que si je la chantais aujourd’hui (elle chante à nouveau), en faisant la voix lead, les choeurs et en tapant dans les mains en rythme. Ce jour-là, ils ont compris que je n’étais pas « normale ». A cinq ans, j’ai découvert les vocalises d’Eve Brenner (elle vocalise), une soprano colorato, dans le Matin sur la rivière, et je l’imitais sans problème. Un autre jour, j’avais toujours cinq ans, j’étais dans la Ford Taunus jaune de mon père, une horreur, dans laquelle l’autoradio, était pourri. Je lui ai dit : « Papa, je veux chanter, mais pas avec cette musique... » Et comme il ne baissait pas son autoradio, j’ai sorti ma tête par la fenêtre et je regardais la couleur jaune de cette voiture que je trouvais horrible et j’ai chanté pour m’évader. Dix minutes après, on était arrêtés sur le bord de la route et je chantais. Mon père était devant moi atterré, comme un zombie, il répétait : « J’ai jamais entendu ça, j’ai jamais entendu ça ! ». Rentrés à la maison, il a crié : « Loulou, on a un problème, je crois que ta fille va être chanteuse ! » (Rires).

J.-M. d’Angio et J.-P. P.
Magazine Platine - Mai 1998