"Je veux être une star et je l'assume"
Elle chante en anglais, vise l'Amérique, assume son ambition : "J'ai ramé deux fois plus que
les autres". Lara Fabian chante en anglais, a décidé de faire carrière aux Etats-Unis,
et en profite pour régler ses comptes. On aime ou on déteste, mais il faut le reconnaître,
elle n'a pas la langue dans sa poche. Son interview par Alexis Campion.
Un mois après la sortie européenne de "Lara Fabian", son album en anglais, la chanteuse
- elle le répète assez - se prépare à devenir une star en Amérique, rien que
ça ! Son rêve d'enfant.
Produit par Sony en la personne de Tommy Mottola (ex-époux de Mariah Carey, producteur de Michael Jackson
et de Barbra Streisand) avec une armada de compositeurs recherchés tels Pat Leonard (Madonna) ou Walter
Afanassief (Michael Bolton), le disque est formaté au goût de la variété dominante,
entre violons doucereux, disco fade et cris hiératiques. Dans le sillage du bulldozer Céline Dion,
on aime ou on déteste. En attendant la sortie de ce produit aux Etats-Unis, prévue pour mars 2000,
Lara y croit. Farouchement.
Vous voilà sur les traces de Nana Mouskouri, qui vient d'achever sa tournée américaine
avec orchestre symphonique. Elle est paraît-il, votre idole ?
Oui ! Quand j'avais huit ans, je suis allée à un de ses concerts. J'avais harcelé ma mère
pour qu'elle m'achète une robe à rayures ridicule et un bouquet de jonquilles. Quand Nana m'a vue,
elle a arrêté sa chanson, O Soleil, soleil, et elle m'a fait monter sur scène avant de reprendre
son concert. Je n'oublierai jamais.
Qu'est-ce qui vous fascine chez elle ?
Elle est méditérranéenne, elle parle plusieurs langues, comme moi. Elle n'a jamais eu peur
d'afficher son caractère à elle, son physique à elle. Dans notre société, une
femme méticuleuse et perfectionniste n'est qu'une "chieuse", alors qu'un homme est un grand professionnel.
Et puis, elle a une constance qui me fait rêver, car je ne l'atteindrai sans doute jamais, je suis trop caméléon.
Vous, qui êtes-vous ?
Je suis aujourd'hui, à l'aube de mes trente ans, une femme qui a fait la paix avec elle-même. J'ai
toujours besoin de chanter l'amour et d'être aimée, mais je n'ai plus peur de ne pas être aimée.
En fait, je suis consciente de la réalité : on peut être aimé et détesté
pour les mêmes raisons. Je suis le genre d'artistes qui suscite la controverse parce que, justement, j'ai
cette franchise dont les gens se méfient tant.
Pourquoi dites-vous ça ?
Parce que j'ai été blessée ! On m'a toujours fermé toutes les portes ! J'ai ramé
deux fois plus que les autres ! Les médias ont constamment remis en question mon honnêteté
et ma démarche authentiques !
Pour une femme en paix, vous semblez bien énervée !
Je ne me suis jamais assise dans le bureau d'un ponte qui ferait de moi une star en deux ans. Je suis auteur de
90% de mes textes et musiques. A vingt ans, j'ai monté ma maison de disques, Productions Clandestines, j'envoyais
moi-même les fax aux radios. Personne ne croyait en moi. J'étais nulle, trop autobiographique, trop
grosse, trop tout. Et aujourd'hui, je le dis, tous ceux qui ont voulu me détruire, tous ceux qui ne m'aiment
pas, je ne les vois même plus, Dieu les bénisse.
Mais n'est-il pas vrai qu'aujourd'hui vous inspirez à Sony un marketing forcené ? Vous êtes
aussi un produit, et cela brouille votre image.
Non. Le marketing ne dénature rien, il n'est qu'une stratégie qui permet à la création
d'exister à plus grande échelle. Que croyez-vous ? Qu'on peut faire une carrière internationale
avec douze chansons, piano-voix ? Soyons réaliste ! Moi, mon rêve depuis l'âge de cinq ans,
c'est d'être une star, de passer sur toutes les radios. Je l'assume, je suis vraie. J'en ai marre de cet
état d'esprit français qui consiste à refuser le paradoxe du show allié au business,
à croire que l'ambition est un problème, un mensonge. C'est complètement démago !
Il paraît que vous avez fait toute une histoire pour la pochette de votre disque ?
Oui. Sony avait appelé Sante Doracio, l'un des plus grands photographes du monde. Dans son objectif, j'avais
l'air de ma soeur mongole le soir de Halloween. Je me suis dit que si les gens voyaient ça, ils n'achèteraient
même pas l'album. Je n'ai pas droit à l'erreur. Finalement, la photo a été réalisée
par un ami québécois, Carl Lessard, sans maquilleuse, sans coiffeuse.
Pourquoi avez-vous voulu chanter en anglais ?
Faut être réaliste, il suffit d'écouter ce qui se joue sur les radios suédoises ou italiennes
pour comprendre que la réalité du marché radiophonique, c'est l'anglais. Mais j'ai aussi mis
une chanson, Adagio, en italien. Il faut arrêter de prendre les gens pour des cons. Si l'opéra italien
existe depuis cent ans, si Pavarotti et Boccelli vendent des millions de disques, c'est que les anglophones ne
sont pas si obtus et fermés que ça. Une émotion sincère supporte toutes les langues.
Vous semblez follement pressée d'être consacrée.
Ca fait douze ans que je trime ! Avec l'adrénaline que j'ai, je ne tiendrai pas jusqu'à quarante
! Dans trois ou quatre ans, c'est sûr, je vais m'asseoir, faire un gosse et cuire de la tarte aux pommes.
Alexis Campion
© Journal du Dimanche (France) - 2 janvier 2000